Eaux souterraines
19 janvier au 21 mars 2023
Centre d'exposition de Mont-Laurier
"Violaine Lafortune est sensible aux territoires qu’elle habite. En tant que géomorphologue, elle a par le passé parcouru, sondé, étudié et analysé les vastes étendues subarctiques, dans le cadre de son doctorat en géographie physique et de l’établissement des parcs nationaux au Nunavik. À la suite de ce passage dans les grands espaces nordiques, elle a établi un rapport plus resserré et social avec la région de l’Abitibi-Témiscamingue comme fonctionnaire municipale affectée à l’aménagement du territoire pour la Ville de Rouyn-Noranda. Abordé à travers le prisme de cette acuité géographique, le territoire se déploie par couches dans le travail artistique de Lafortune. La stratigraphie des sols y révèle une succession de dynamiques sociales et naturelles qui en façonnent l’épiderme.
Fruit d’une immersion de 18 mois auprès de la Société de l’eau souterraine Abitibi-Témiscamingue (SESAT), le projet Eaux souterraines opère une incursion artistique dans une série de rencontres administratives de cet organisme voué à la saine gouvernance de l’eau souterraine par l’intervention citoyenne dans les processus décisionnels, les modes de gestion et les choix d’usage du territoire. Lafortune a procédé à la documentation visuelle des rencontres, prenant le pouls des passions et des engagements à l’œuvre dans ces séances de concertation, afin de relever tout ce qui ne transparait normalement pas dans les procès-verbaux. S’y manifestent des dimensions habituellement intangibles des discussions ; un amalgame d’affects, d’individus, de sédimentation, de stratigraphie, de bassins versants, d’hydrologie et de géologie. Ce projet expose les forces, naturelles tant que culturelles, agissant sur l’avenir des aquifères. Lors de sa présentation au Centre d’exposition de Mont-Laurier, la série de dessins performatifs produits durant les rencontres administratives était accompagnée de moulages de ruisselets asséchés, en analogie à la méthodologie caractéristique de la géomorphologie par le travail de la truelle et la récolte in situ d’informations.
Le territoire s’avère également labile, changeant, fugace et fragile dans le travail de Lafortune, ce qu’elle s’efforce de rendre palpable par l’inscription provisoire des paysages dans des cartographies évanescentes. Le temps d’un projet intitulé Je m’en souviens comme si c’était hier au Centre d’artistes Vaste et Vague, elle a quotidiennement tracé des paysages littoraux à même les murs, les effaçant en fin de journée pour reprendre de zéro le lendemain sur les mêmes surfaces. L’accumulation spectrale des littoraux successivement effacés génère de manière incrémentielle un riche palimpseste, un peu comme les passages incessants de la marée, les strates mémorielles du souvenir ancré dans le territoire, ou encore les perturbations cumulées des changements climatiques, laissant dans leur sillage une signature, au creux des couches de sol."
Gentiane Bélanger